Srebrenica : vingt ans après, MSF fait part de ses dilemmes

09/10/2015 20:31

Vingt ans après la tragédie de Srebrenica, qui a coûté la vie à près de 8 000 hommes musulmans de Bosnie, Médecins sans frontières (MSF) publie pour la première fois une étude de cas sur ses prises de parole publiques entre 1993 et 2003. Pour l’ONG, cette initiative illustre avant tout sa volonté de témoigner, mais également de revenir sur les dilemmes soulevés en interne, depuis l’ouverture d’une mission médico-sanitaire à Srebrenica, en 1993, jusqu’à 2003, lorsque l’organisation demande aux Etats-Unis et à au Royaume-Uni d’ouvrir une enquête sur leur propre responsabilité.

Alors que l’ex-Yougoslavie est déchirée par la guerre, MSF s’installe à Srebrenica dès 1993. Ses volontaires soutiennent la population et soignent les blessés dans l’enclave. Au-delà de la volonté pédagogique d’informer sur les faits, vingt ans après, le document publié par l’ONG prend du recul sur les dilemmes qui ont guidé son action : « Tout d’abord, nous nous sommes demandé si notre présence sur place n’avait pas participé à adoucir l’image des tortionnaires, puisque nous maintenions les gens en vie, raconte Laurence Binet, coordinatrice du projet d’étude. Puis, lorsque nos volontaires étaient sur place, fallait-il ou non dénoncer publiquement le blocage de l’accès aux enclaves par les forces serbes, au risque de ne plus avoir accès du tout ? » A l’époque, l’ONG décide de favoriser la communication à partir du terrain, tout en continuant à négocier l’accès.

« Cautionner un massacre »

Pendant le siège de Srebrenica, MSF ne cesse de s’interroger sur les moyens de protéger la population. « Juste avant la chute de l’enclave, la question s’est posée de demander l’évacuation de la population. Mais faire évacuer l’enclave, c’était aussi cautionner l’épuration ethnique, puisque l’objectif des Serbes était de ’’serbiser’’ toute la région... tâche qu’ils avaient déjà bien entamée puisque seules quelques enclaves étaient restées musulmanes », explique Laurence Binet.

En filigrane, c’est aussi « l’illusion de protection des populations » qui est pointée du doigt par MSF dans son étude de cas. Dès 1993, l’enclave est décrétée « zone protégée » par le Conseil de sécurité des Nations unies. « On savait que l’enclave n’allait pas tenir, mais on ne pouvait pas prévoir ce massacre, justifie Laurence Binet. Le général Morillon avait promis, dès 1992, que l’ONU n’abandonnerait pas la ville. » Pourtant, le 11 juillet, l’étau se resserre autour de Srebrenica. L’appui aérien de l’OTAN ne sera finalement pas mis en œuvre. Les deux volontaires de MSF présents dans la ville assistent à sa chute. Ils sont les témoins directs des défaillances du dispositif de protection des civils mis en place par l’ONU.

« Chaque situation est différente, mais on peut faire un rapprochement avec la situation actuelle en République centrafricaine. Là-bas aussi, il y a des enclaves musulmanes avec une présence de casques bleus. Mais aujourd’hui, on ne donne plus l’illusion formelle aux civils qu’ils sont protégés, contrairement à Srebrenica », affirme Laurence Binet. « Cela dit, à partir du moment où des forces de maintien de la paix sont là, la population espère toujours que les forces de l’ONU agiront pour les protéger, si besoin... »

Françoise Bouchet-Saulnier, directrice juridique de MSF, dénonce la « tromperie autour du mot protection ». Elle insiste sur le « sacrifice » de l’enclave de Srebrenica au profit du processus de paix en cours à l’époque, qui a mené, le 14 décembre 1995, aux accords de Dayton marquant la fin des combats en Bosnie-Herzégovine.